Article sur "Change moi ma vie"

 

Putain d'acteurs ! Nina semble perdue dès la première scène. Elle est nerveuse, prend des cafés, fume cigarette sur cigarette, avale trop de pilules… Elle tente de dialoguer avec un autre client. C'est évident, elle s'y prend mal. Nina est trop vraie, trop intacte, pleine d'un sentiment sincère, sans masque. Son identité est déstabilisée par notre système, plein de codes aliénants. Son rapport au monde est pathologique car trop humain. C'est un véritable échec, une faillite relationnelle. Elle ne sait pas jouer le jeu de cette vie codifiée. Elle ne travestit pas son image pour apparaître : elle est, tout simplement. Fatalement, la marginalisation la caractérise. Et lorsqu'elle s'évanouit dans un parc, seul Sami la voit. Il fait partie des marginalisés, des gens à part. Son travestissement ne reflète que sa difficile, voire impossible, tentative d'adhésion à un monde qui n'est pas le sien, qui le pulvérise. Au-delà de leur milieu, de leur origine, Nina et Sami sont pareils et leur fraternité spirituelle (physique même) les propulsera l'un et l'autre vers un univers différent, ancré dans l'ostracisme, mais inséré dans ce monde qui à la fois les rejette et a besoin d'eux. "Change-moi ma vie " est une fabuleuse fable sur le métier d'acteur ; sur sa difficulté à se travestir pour montrer le monde tel qu'il est ; sa position à part dans le système social ; l'humiliation et la cruauté qui s'exercent sur lui, à son insu ou pas ; le tiraillement constant qu'il éprouve à pénétrer un personnage et à s'en imprégner, à subir le regard au-delà de tout jugement… Les contraintes sont longues. L'acteur possède pourtant un statut merveilleux. La fin du film l'exprime si bien : raconter les sentiments, les personnages, l'histoire du monde. Le scénario de "Change moi ma vie " est formidablement écrit (en particulier les dialogues d'une profondeur et d'une vérité touchantes) et évite de tomber dans le pathétique ou le cliché. Emouvante, hypnotique et hypnotisée, Fanny Ardant interprète ici un de ses meilleurs rôles. Roschdy Zem et Sami Bouajila, parfaitement crédibles et même gracieux à certains moments, démontrent ici un don extraordinaire pour la composition… Avec ce film, plus que jamais, les acteurs fascinent.

Sébastien JOUNEL