- CULTURES - ("huit femmes")
06 Février 2002
Fanny Ardant : " L'acteur trahit, le metteur en scène manipule " " Pierrette m'a plu tout de suite par sa liberté d'esprit, son indépendance sans entrave, sans morale. Elle a aussi un côté ''outsider''. Elle arrive là sans être ni de la famille ni de la maison. Elle ne représente pas les bourgeoises notables des années cinquante mais une poule. Nous sommes avant la période où les Beatles et les Rolling Stones vont tout faire voler en éclats. C'est intelligent de la part de François d'avoir situé le film à cette époque et non pas après, où tout le monde couche avec tout le monde. J'ai joué le personnage avec plaisir et à l'instinct, parce qu'il ne nécessitait pas une grande introspection. C'était très léger, comme jouer une partition d'orchestre dans laquelle chacun trouve sa forme au travers de celle des autres. J'ai l'impression que plus les autres femmes sont outrées par le scandale, plus Pierrette rit de les voir s'agiter dans le bocal. Elle a aussi des failles, des fêlures et ce côté je-m'en-foutiste en apparence, que j'aime bien. · la lecture, c'était le personnage que je préférais. Ensuite, l'interprétation devient plus charnelle, plus nuancée. J'ai trouvé que François Ozon avait visé juste. 8 Femmes au travers de ses interprètes est un hommage à certains types d'actrices et parle de cinéma. Pour ce qui me concerne, je songe évidemment à Gilda (interprétée par Rita Hayworth, NDLR). Mais à voir Catherine danser, je songeais à Marylin Monroe ou à Audrey Hepburn pour Virginie Le Doyen. Un des films que j'aime le plus au monde est la Comtesse aux pieds nus de Joseph Mankiewicz avec Ava Gardner et ce moment où l'homme dit ''Suivez-moi, je vous emmène''. Je pourrais le revoir des centaines de fois et à chacune, j'attends cette scène. Le film est plus subtil que le Cluedo qui lui sert de prétexte. Il n'est pas anodin de distribuer des rôles à des actrices connues. Je ne sais pas si l'on garde les marques de ce que l'on a interprété avant mais dès lors que l'on donne un rôle à un acteur connu, comment ne peut-il pas détourner le rôle, faire écran ? C'est toute la question du Soldat Ryan : un acteur connu peut-il jouer le soldat inconnu ? En même temps, je vais au cinéma pour certains acteurs, parce que je les aime. Et pourtant j'ai adoré Mulholland Drive de David Lynch, qui ne comporte que des inconnus. Tout le monde s'avance masqué. Quand Pierrette séduit Gaby , c'est pour voir si on va lui résister. Le metteur en scène est-il ainsi ? manipulateur d'un groupe, chercheur d'une résistance ?.. Le rôle d'un metteur en scène est de manipuler, celui d'un acteur de trahir. L'un dans l'autre, ça équilibre. Quand je dis " manipuler ", c'est son rôle : faire sortir, accoucher, amener quelqu'un à être au mieux de lui-même. Chaque metteur en scène, aussi différents soient-ils les uns des autres, a ses côtés secrets et c'est la raison pour laquelle il raconte des histoires. Sous ses airs comme ça, François Ozon est très secret. 8 Femmes ressemble à un exercice de style, tout était dans sa tête. Il ne joue pas des montées d'adrénaline. Sa mise en scène tient davantage du sentiment de jubilation, d'intelligence d'un deus ex machina. Cela tient de l'orchestration. Que faire de ces couleurs, ces styles, ces tempéraments de rôles tellement incarnés ailleurs ? On a joué notre partition sur des personnages maniés comme des marionnettes. Il existe un plaisir de se laisser faire. Mais cela demande de la confiance. J'ai horreur de l'amateurisme, qui me met hors de moi. j'ai confiance dans les gens qui travaillent. Il est très rare qu'on m'utilise dans des rôles légers, insouciants. C'est ce qui était vraiment spécifique à ce film pour moi et à son réalisateur : vouloir exploiter cette couleur, qu'on peut deviner chez moi mais qu'on n'exploite pas. "
Propos recueillis par Michel Guilloux