Interview de Fanny Ardant (31/12/1999)

 

Avec LE FILS DU FRANÇAIS, Fanny Ardant rempile dans le registre de la comédie. Un véritable plaisir pour elle, même si elle avoue n'avoir joué que des personnages assez sérieux à l'intérieur de comédies. Notre rencontre dans le cadre de la promotion du film s'est très vite transformée en un instant intime, une bulle où toutes les barrières ont volé en éclat au profit d'un moment de vérité précieux. L'actrice s'est évaporée, laissant place à Fanny Ardant, la personne, un étrange mélange fait de solitude et d'extraversion...

Interview :

Vous avez un naturel nonchalant, êtes-vous une personne qui vit au jour le jour?

Fanny Ardant: "...Qui se laisse bercer par la vie, je ne décide rien. C'est ça qui m'excite. je n'arrive pas à programmer les choses, à penser en termes de stratégie ou à contrôle de la situation. Ça m'ennuie, ça me fait penser à la mort... Mais je ne fais pas ce que je n'aime pas. Ce qui est en soi une forme de décision. Mais je n'ai rien à voir dans la conception des choses qu'on m'offre. Pour moi la vie c'est comme une gare. On prend un train et il vous emmène à Tombouctou ou à Lyon... Je n'ai jamais pris quelqu'un en lui disant de m'écrire tel ou tel personnage. C'est une forme de passivité... de luxe. Mais je n'ai jamais fait quelque chose pour l'argent. C'est mon seul luxe, je n'ai pas de maison, je n'ai rien. Mais j'ai ma liberté..., le choix et c'est quand même pas mal. C'est mieux que des visons et des bijoux."

C.: Vous ne trouvez pas que ça a un côté éphémère?

F.A.: "Si tout à fait, mais ça me plaît. Je n'aurai jamais voulu envisagé ce métier comme une sorte de holding. Comme si j'étais une tenancière immobilière. J'aime beaucoup quitte ou double tout comme l'intensité concentrée que l'on trouve sur les tournages. Au théâtre l'intensité est à long terme, elle use, elle rend malade. Je prend mes respirations au cinéma. Je me sens très bien sur un plateau, assise sur un siège en attendant les gens que j'aime et que je suis certaine de revoir tous les matins et ce sans aucun prétexte. Et entamer les scènes, même si elle vous font mal. Il y a des choses très chaleureuses sur un film. Les techniciens, les jours qui se suivent, les nouveaux partenaires..."

C.: Vous avez une soif de tournage?

F.A.: "C'est le moment où tous mes ordinateurs s'allument. je n'aime pas me lever tôt mais sur les tournages, je m'en fous. J'entretiens une sorte de dépendance. Mais une dépendance sereine parce que je le sais et que je la connais. Une fin de tournage pour moi, c'est comme un chagrin. J'ai toujours l'impression que je suis la seule qui souffre parce que je me suis attachée et que je dois dire 'au revoir'. Et je sais pertinemment que je ne trouverai plus jamais cette alchimie là et ça me fait souffrir. Je ne fréquente pas beaucoup les gens avec qui j'ai travaillé, je les retrouve par hasard."

C.: Vous êtes-vous sentie victime de votre image à la fois charnelle et un peu froide?

F.A.: "Non, parce que pour moi, je n'en avais pas. Je n'ai rien construit, je n'ai rien voulu imposer. Donc victime ou pas victime de mon image, j'ai toujours avancé. J'ai toujours cru au rapport individuel. Quand on rencontre quelqu'un, qu'on se parle, il n'y a plus d'images. Il n'y a que du vrai. On peut s'intéresser à tout le monde... J'ai pu aimé les gens parce qu'ils me manquaient beaucoup. Si j'avais eu une overdose d'eux, je ne leur aurais pas fait ce crédit. A partir du moment où l'on pose des questions aux êtres humains, ils deviennent intéressant. Ici, c'est un moment privilégié, vous me posez des questions et je vous réponds. Mais dans un dîner, tout reste très superficiel, on parle de le température, du parquet ciré ou pas. Les vraies conversations sont extrêmement rares. Moi, je veux tout savoir d'eux. Comment ils prennent leur petit déjeuner, de qui ils sont amoureux? J'emporte toujours quelque chose avec moi car la vérité émane des détails de quelqu'un. Alors on se souvient de choses, c'est pour cela que je lis énormément. Je lis comme je rencontre les gens, je veux venir vérifier. Quelque fois je tourne à vide, je suis mélancolique comme exaspérée par le monde. Pour me rassurer, je vais dans les dîners en essayant de trouver la personne qui déclamait la même chose que j'avais dit tout bas en moi... On ne sens plus seule, on se dit qu'on est normale."

C.: Vous avez peur de vieillir?

F.A.: "Le vieillissement, c'est le regard des autres. Ce sont les autres qui vous regardent différemment, vous êtes toujours pareil. Donc il ne faut pas aller plus vite, vivre dans l'urgence, ça ne me plaît pas. Il y a un côté 'il faut se faire pardonner' que je déteste. Forcément puisque le monde actuel est fait de comment rester jeune, belle, etc... Je ne me retrouve dans cette société où les grand-mères doivent rester sexy jusqu'à 90 ans. J'aime l'insolence de la maturité des personnages âgées, leur côté 'je m'enfoutiste'. mais comme je sais que tout le monde à une forme de révolte en soi, ça me rassure. Je n'ai pas envie de faire partie de groupes de pression, de parti politique, je n'aime pas les pavés et les poings levés. Je crois beaucoup en l'individu unique, inaltérable mais surtout unique. Je suis une rebelle passive."

C.: Y a-t-il des choses que vous auriez aimé faire et que vous n'avez pas pu ou su réaliser?

F.A.: "....Oui, j'aurai aimé suivre un homme. Ne vivre que pour une personne, c'est la seule chose qui ne puisse pas vous abandonner."

Olivier Guéret