interview "Côté femme" 25 septembre 2002.
Une superbe fin d'aprés-midi. Le calme feutré d'un luxueux hôtel parisien. Et Fanny Ardant, tout sourire, radieuse dans une tenue décontractée, se livre au jeu des questions réponses. Un exercice qu'elle n'affectionne guère. Il est vrai que, dans un laps de temps nécessairement très bref, s'apprivoiser l'un l'autre, le journaliste et l'interviewée, n'est pas chose aisée. Alors, chacun y met du sien. Elle avec une grâce naturelle, une bonne humeur communicative, une sympathie qu'elle sait tout de suite créer. Un moment rare, précieux, de ceux qui vous font aimer votre métier, égoïstement
-Côté femme: Une double rentrée, théâtrale et cinématographique. Deux rôles forts. Une pression très forte aussi?
Fanny Ardant: Une chance exceptionnelle, surtout, de concilier mes deux passions, théâtre et cinéma, à travers le destin de deux femmes, elles aussi exceptionnelles: Maria Callas, la diva de ce siècle, pendant la dernière année de sa vie, et Sarah Bernhard, le monstre sacré des planches, durant son dernier été, celui de 1922, face à la mer qui vient, au soleil qui la brûle, dans sa maison de Bel-Île-en-mer. Cerise sur le gâteau, mes partenaires sont deux comédiens que j'admire et que j'aime, Jérémy Irons côté cinéma, et Robert Hirsch côté théâtre. Je nage donc dans le bonheur et l'excitation.
Pourquoi vous n'aimez pas les interviews?
F.A: C'est une exercice difficile. On n'a pas l'habitude d'aborder au quotidien les questions posée dans une interview! Un magazine, naguère, m'avait sollicitée pour interviewer un écrivain. Je ne trouvais pas les questions à lui poser, c'était horrible. Ce travail sur la corde raide, dans l'impossibilité de savoir qui l'on va trouver en face de soi, m'a beaucoup marquée. De plus, comment éviter le piège de la question déjà mille fois posée? Et qu'il faut néanmoins poser!
Ainsi, vous êtes-vous identifiée à la Callas?
F.A: Quand on porte quelqu'un en soi depuis son plus jeune âge -mes parents mettaient des diques de Maria Callas-, il est difficile d'échapper à toute identification. même si je me sens très différente. Jeune fille, j'ai aimé cette voix, que je reconnaissais entre mille, parcequ'elle dégageait de l'émotion. Ce qui me plaît dans le film de Franco Zeffirelli, c'est que je n'ai pas eu besoin d'avoir en permanence le vision de Maria Callas, mais qu'il m'a fallu jouer des scènes, rendre palpables des sentiments, des émotions. Donc exploiter mon métier d'actrice à fond.
Prenez-vous la vie comme elle vient ou êtes-vous femme de projets?
FA:Je suis totalement fataliste, adepte du mektoub arabe, du "c'est écrit". Si demain je dois rencontrer l'homme de ma vie, la pièce de ma vie, ça se fera. Quoi que je fasse!
Alors vous ne faites jamais le premier pas?
F.A: Jamais. Peut-être pas orgueil, sûrement par orgeuil. Je ne pourrais pas solliciter un metteur en scène, même si je rêvais du rôle ou d'être dirigée par lui. Pareil avec un homme.
Quelle différence essentielle faites-vous entre le cinéma et le théâtre?
F.A: Au théâtre, vous êtes le funambule. Ou le dompteur qui demande à ses fauves de franchir la barrière de feu. Notre métier à nous, c'est de faire passer l'émotion au-delà de cette barrière. Au cinéma, c'est la démarche inverse, il faut aller dans le salon du spectateur, lui donner l'illusion que le salon du film, c'est le sien.
Dans "change moi ma vie", l'heroïne que vous campiez, Nina se demandanit: "C'est quoi une femme?" Avez-vous la réponse?
F.A: C'est comme le terre. Pas les deux ou trois caillasses que vous voyez là. Mais quelque chose de profond, profond, profond... De terriblement mystèrieux, insondable.
Interpréter des femmes à ce point maîtresses dans leur art implique-t-il une approcha particulière?
F.A: Assurément. Il me faut, dans mon jeu d'actrice mais sans le trahir, une vision plus abrupte, plus cassante, mais également plus sensuelle. Il ya dans ces deux caractères une fureur, une huperbole et une démesure que seules des femmes méditérranéennes peuvent avoir.
Vivre d'art et d'amour, pourriez-vous en faire votre devise?
F.A: Enlevez ces deux éléments à la vie, que reste-t-il? Je ne joue pas en bourse, ne fais pas de politique, ne m'intéresse pas aux cabriolets. Ausii, vivre d'amour et de mon art, c'est suffisant pour remplir pleinement ma vie.
Pourriez-vous tout quitter par amour?
F.A: Certainement pas. Du moins, certainement plus. Une fois, une seule, j'ai failli renoncer à tout. Et ça n'a servi à rien. Je ne peux donner le meilleur de moi que lorsque je suis équilibrée. Je ne pourrais pas aimer en étant frustrée. Or, le drame, en amour, c'est justement qu'il n'y a pas de vases communicants! Alors je préfère renoncer.
Vous arrive-t-il d'avoir peur de faire le film de trop, la pièce de trop?
F.A: Maria Callas disait: "Un triomphe est pire qu'un échec." En effet, quand l'absolu est atteint, que votre petite voix intérieure vous dit qu'il est impossible d'aller plus loin, plus haut, que vous n'êtes plus aimée pour vous-même mais pour l'icône que vous êtes devenue, au fil du temps, cela devient une vraie tragédie.
Votre principal luxe aujourd'hui?
F.A: La possibilité d'accepter ou de refuser, de dire "oui" ou "non". Rares sont les personnes qui ont ce privilège.
Propos receuillis par Christian Chatillon